LES PLUMES À LA FERME
« Les Plumes à la Ferme », est une rencontre avec des auteu•rices et un mini-atelier d’écriture suivie de dédicaces le samedi 5 juillet à 16h30.
Et pour préparer cette rencontre,
voici nos chroniques littéraires
COWBOY

Jean-Michel ESPITALLIER
Inculte Editions • 2020
Western
Jean-Michel n’a pas connu son grand-père, mort assez jeune, quand son père était un enfant. Il sait qu’il est parti au début du XXe siècle aux États-Unis, pour faire le vacher dans les plaines de Californie, entre les montagnes et la mer. Il y est resté plus d’une dizaine d’années, et puis il est rentré au pays, avec une valise pleine de billets de vingt dollars, sans qu’on sache très bien pourquoi. Il s’est marié et s’est installé dans les Alpes qu’il avait pourtant quittées pour aller vivre l’aventure.
Jean-Michel Espitallier ne sait pas grand chose de plus sur ce grand-père, mais ça ne l’empêche pas d’écrire sur lui, d’imaginer quand il ne sait pas, de se documenter quand il aimerait en savoir davantage, de boucher les trous avec de la fiction quand il veut nous en dire plus.
Cela donne un récit foisonnant, très varié, riche de toute une histoire méconnue, celle de ces fils de paysans partis chercher une autre vie de l’autre côté de l’Atlantique.
Ce texte est une sorte de western, on y goute les plats mexicains, on dort à la belle étoile en écoutant les coyotes, on compte le cheptel et on manie le lasso avec dextérité. L’écriture est inventive, subtile, pleine de petites attentions pour le lecteur, avec parfois des énumérations kilométriques dont on ne se lasse pas.
Le retour en France nous permet de comprendre la romance qui s’est sans doute écrite entre le grand-père et sa jolie jeune femme. Quoi d’autre qu’une histoire d’amour pour expliquer qu’il ne soit pas reparti chercher d’autres billets de vingt dollars?
C’est une histoire qui tient en quelques lignes, mais Jean-Michel Espitallier en fait une petite épopée, une réinvention qui doit être pour lui la réponse à des questions anciennes, et par la grâce de son écriture, il redonne de la chair, de la vie à ce personnage qu’on imagine bien, qu’on regarde vivre dans son far-west ou dans ses Hautes Alpes.
Un très beau livre, une très belle intention, un récit à lire.
LE LOUP
DE VALBERG

Pauline BRIAND
Editions Goutte d’Or • 2024
Ce livre qui se lit d’une traite, qui est passionnant de bout en bout, avec une intrigue à la fois minimaliste et très forte, n’est pas un roman. Pourtant il raconte une histoire, celle du loup de Valberg, un louveteau au début de ce récit. L’animal est raconté de manière parfois subjective, on sait ce qu’il ressent, ce qu’il voit, de qu’il sent, parfois de manière extérieure, grâce à la description des photos ou des vidéos prises de manière automatique, à travers les témoignages de personnes impliquées dans l’existence de ce loup, spécialistes ou non, qui l’ont vu ou pas.
On le suit depuis son apparition dans les rues de Valberg, un village des Alpes maritimes pas loin du Mercantour, jusqu’à sa disparition dans la Drôme. On vit toutes ses aventures, reconstituées avec talent par Pauline Briand. Elle nous entraîne dans cette histoire avec une très belle écriture, très discrète, terriblement évocatrice. Le style est efficace, élégant, très précis, les descriptions des scènes de chasse sont étonnamment réalistes. On mange le foie des agneaux avec le loup, on a peur des hommes avec lui, on court très vite, on galope, poursuivis par des chiens qui aboient et qui rêvent de vous étriper, tout efflanqué qu’on soit.
Le récit est très documenté, très sourcé, et pourtant se glisse de l’invention, de la création littéraire dans ce texte qui est une sorte de documentaire en format papier, où l’on apprend beaucoup de choses sur les loups, l’élevage alpin, les enjeux politiques qui déterminent ces sujets. Sans que le texte soit ouvertement pro-loup, le seul fait d’en parler de manière presque intime nous oblige à adhérer, même si on compatit aussi avec les éleveurs, si on comprend leur stress, sans parler des bêtes, ovins ou caprins, parfois bovins, qui vivent dans les alpages avec la peur du loup.
A mesure qu’on avance dans la lecture, on prend conscience de la dimension épique de cette histoire du loup en France. Pour décider de la survie ou de l’euthanasie du loup de Valberg, d’un seul loup donc, deux ministres se sont mis d’accord, après la consultation d’une palanquée de fonctionnaires et d’experts. Ensuite, pour la réintroduction de ce loup, c’est dans le plus grand secret que les décisions sont prises. Quand les chasseurs et les éleveurs l’apprennent, et même les associations environnementalistes, c’est une levée de boucliers incroyable, tout ça pour un loup parmi les mille et quelques qui peuplent notre pays à l’époque où commence l’écriture de ce livre, soit en 2023. C’est dire la charge émotionnelle qui accompagne la question du loup en France, une charge qui est aussi symbolique, politique, écologique, qui semble moins pesante à l’étranger.
Je dis mille, et c’est un sacré chiffre quand on sait que les premiers loups sont aperçus en 1992, mais ce gouvernement autorise les « prélèvements », c’est-à-dire l’abattage de loups, avec des taux qui sont portés à 19% depuis 2019 sous la pression des syndicats agricoles et des associations d’éleveurs, ce qui fait environ 190 loups par an, ce qui est énorme. En 2024, le nombre de loups a diminué de 9% en France. Les naturalistes et les vétérinaires qui suivent les loups s’étonnent de ne trouver morts que des loups jeunes, il est rare d’en voir des vieux. Cela pose le problème de la coexistence avec l’homme. Les loups ne vivent pas vieux, sans doute ne tirent-ils pas les leçons de cet abattage. Ils continuent à essayer d’attraper des agneaux ou des brebis, aveuglés par l’apparente facilité, en dépit des chiens, des clôtures, et surtout des louvetiers qui les tirent comme des lapins.
Le Loup de Valberg est un livre très dépaysant, qui nous emmène du côté de la sauvagerie, nous aide à la comprendre, qui nous aide à réfléchir tout simplement. C’est un livre à lire, bien entendu.
DANS LES MURMURES
DE LA FORÊT RAVIE

Philippe ALAUZET
Rouergue Noir • 2023
Loup y es-tu ?
Depuis les quelques années que je fais cette chronique, j’ai souvent été admiratif de la qualité d’écriture de certains textes, j’ai apprécié les performances poétiques de certains auteurs. Mais il me semble que là, c’est la première fois que je suis autant impressionné par une écriture. Elle est belle, évocatrice, innovante, avec des phrases si fortes qu’on les relit d’abord pour le plaisir, ensuite pour comprendre comment c’est fait, comment l’auteur choisit ses mots, ses images, pourquoi c’est si réjouissant.
« Tout, à perte de vue, et tout, autour, refermé sur ses pas, n’était qu’alignements de troncs bougeant dans le ciel vertigineux leurs tignasses crépues de girafes placides. »
L’histoire est forte aussi, elle se déroule dans un temps indéterminé, sans doute de nos jours mais les indices sont rares. Dans un lieu imprécis aussi, probablement le sud-ouest mais ça pourrait être ailleurs.
On est dans une campagne, dans un milieu paysan, des éleveurs de brebis, un milieu bouleversé par la présence d’un loup qui se cache dans la forêt et frappe de manière terrible et démesurée où il veut et quand il veut.
« L’homme regardait vers la forêt. Une enceinte lointaine et proche qui encerclait le pays, bouchant tout horizon. N’importe où que se pose le regard, elle était là, barbouillée de brume. Comme elle était impénétrable, ses yeux y cherchaient les bêtes d’avant, celles des nuits de pleine lune, celles qui se cachaient derrière les portes, sous les lits. Il était là le monstre, celui qui avait planté ses crocs et ses griffes dans le cou des brebis, à peine bu leur sang, négligé leur chair (d’où les bêtes fauves tuent-elle sans nécessité, par seul goût du carnage?). »
On n’est pas loin du conte, mais alors ce serait un conte bien noir où le chaperon rouge, Agnès, serait une jeune femme au tempérament d’acier et pourtant au service de son père, sa boniche comme elle dit. Un père taiseux et terrible. Dans cette famille, la disparition de la mère est un lourd secret, la justice s’en est mêlée mais sans résultat, le père est alors revenu de prison et l’énigme demeure.
Lorsque le roman s’emporte, du fait du loup et de la forte tension qui pèse sur les destins humains, la poésie du texte contamine le récit et le terrible loup des bois se confronte au vieux loup humain, c’est magnifique et envoutant, il faut lire ces phrases lourdes et terrifiantes.
Et puis il y a le chien, Pentecôte, tellement vivant, tellement expressif, tellement vif et soumis à la fois, un très beau personnage aussi, pour lequel on a peur de ce qu’il pourrait croiser, de ce qu’il pourrait oser.
Un texte court, vibrant, sur la ruralité et l’idée que Philippe Alauzet s’en fait, nous en fait, une ruralité intemporelle et épique, un roman à lire absolument.